dimanche 10 juillet 2011

Un goéland et un dauphin m'ont parlé, et j’ai tutoyé le diable

Bye-bye Gibraltar !
Le mardi 5 juillet 2011

11H30, ça-y-est la Boiteuse quitte le port de la Línea après avoir fait le plein d’eau et de gasoil. On est parti pour six jours de navigation. En passant la pointe de la digue, j’ai un peu de mal à me repérer, et pour cause une grosse montagne se trouve plein sud alors qu’auparavant elle n’y était pas… Je réalise que j’aperçois pour la première fois les côtes du Maroc et le rocher qui tient lieu de grand frère à celui de Gibraltar. Le mont Musa, la deuxième colonne d’hercule dont personne ne retient le nom. On se demande bien pourquoi car il est bien plus imposant et plus beau que son petit frère européen… M’enfin, il y a des injustices en ce bas monde, et même parfois des injustices géographiques.

12H45, alors je que je me dispute le passage avec d’énormes pétroliers, j’aperçois le long du bord le plus gros poisson-lune qu’il m’est été donné de voir. 1m50 d’envergure, un monstre stoïque que rien ne perturbe, même pas les gros machins qui passent à côté de lui.
Je double la pointe et j’entre dans le détroit proprement-dit, dont je longe la côte nord jusqu’à Tarifa. J’ai deux nœuds de courant dans le pif, et je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Sois les cartes sont fausses, soit je suis un abrutit fini. Au choix.

Hum...
14H30, Tarifa est en vue. En passant devant le phare je me dis que c’est la dernière vision que j’aurais de l’Europe… Et je ne sais pas pourquoi, mais cette pensée remue quelque chose au fond de moi. Ce n’est qu’un phare pourtant, et il y en aura d’autres, mais il jalonne une étape importante de mon voyage.
Les deux côtes, l’européenne et l’africaine sont visibles et me semblent toutes aussi désertiques l’une que l’autre. Il y a beaucoup moins de trafic que je ne le craignais, mais je reste (bien sûr) en dehors du rail qui est réservé aux gros culs. Je croise un voilier français et j’agite bien haut la hampe de mon drapeau pour les saluer. Dans la foulée, un deuxième apparait… Il y a un congrès ou bien ?

Après Tarifa le vent se lève pour de bon. Plein vent arrière, la Boiteuse file ses six nœuds comme une grande et la houle atlantique commence à se faire sentir. Elle est encore dérangée par quelques vagues venues de la méditerranée, mais à sa fréquence, et sa hauteur aussi, on sent bien la différence. C’est plus puissant… On sent qu’elles ont du vécu ces vagues là.

20H00, j’ai dû rallumer le moteur. Je veux absolument m’écarter de la côte avant que de mettre du sud dans mon ouest, mais Eole ne m’aide pas sur ce coup-là. J’ai dépassé les 6° de longitude, je suis officiellement dans l’Océan Atlantique, avec un gros O et un gros A. Cap au 230° vers la Canaries. J’ai pris un peu de retard à cause de cette pétole. 4,3 nœuds de moyenne, c’est pas le top. Il y a encore beaucoup de cargos dans le coin, et je sens que ma nuit risque d’être difficile.

21H20, Une bande de gros dauphins passe exactement entre le soleil couchant et le bateau à quelques centaines de mètres… Je souris et j’admire.
J’admire tellement que le temps que je me dise enfin qu’il y avait là, peut-être, une photo à faire, que ces vagabonds des mers disparaissent au loin. Trop tard pour la photo, mais pas pour celle qui s’est imprimée dans ma tête. Une image fantastique.
Le coucher de soleil est splendide. Du rose, du violet, du jaune, du rouge… Pas un seul nuage ne vient le ternir et le croissant de lune est déjà haut dans le ciel. La nuit promet d’être claire.

23H00 Les étoiles brillent dans le ciel et dans la mer. Oui, dans la mer. Le plancton bousculé par la vague d’étrave s’excite et se met à briller comme des centaines de petites étoiles qui longent la coque avant que de s’éteindre… J’ai, à de nombreuses reprises, lu des choses sur ce phénomène mais c’est la première fois que je l’observe moi-même. C’est beau…


Le Mercredi 06 juillet 2011

06H00, la nuit s’est à peut-près bien passée. Je dis à peut-près car je ne me souviens pas avoir dormi. Réellement dormi je veux dire. De rares moment d’absence peut-être, des épisodes courts, mais pas ce qu’on pourrait appeler des périodes de sommeil. Bizarrement, je me sens plutôt en forme.

06H15, la Boiteuse vient de se faire prendre… J’ai bien vu les petites lumières vertes qui signalaient ce putain de filet dérivant, et c’est voulant l’éviter que je me suis pris dans une palangre qui trainait derrière. Pendant trois quarts d’heure je vais batailler comme un forcené pour me dégager et c’est par je ne sais quel miracle que j’y arrive finalement.




08H00, grand largue au 230°, tout va bien. La Boiteuse reçoit la houle par le travers et roule comme une barrique. Il y a mieux comme sensation, croyez-moi. J’ai un début de nausée et pour pallier à cet inconvénient j'engloutis deux bonnes grosses parts de barre pâtissière.

10H00, le gymkhana continue. Pour la première fois depuis hier, lorsque je regarde autour de moi à 360°, je n’aperçois rien. Pas une terre, pas un bateau. Rien.

En fait, je fais semblant pour la photo !
11H45, cela fait maintenant 24 heures que nous naviguons et nous avons parcouru 99,27 milles exactement. Ça fait une moyenne de 4,1 nœuds… C’est pas fameux. A ce rythme-là, j’en ai pour encore cinq jours. Mais je pense que je mettrais moins, car les alizés sont là. Ils sont un peu faiblards pour l’instant, mais je les sens qui forcissent d’heure en heure.
Dans mon programme de navigation, j’avais pris comme point de référence une moyenne de cent milles par jours. On n’est vraiment pas loin !

12H15, je fais « servir le repas », comme disait le Toumelin même quand il était seul à bord. Un reste de salade de pâte de la veille et une crème au chocolat pour finir avec un joli goût sucré dans la bouche.
Je vais essayer de dormir un peu. Pas évident avec ce vent qui se renforce…

15H00, pas pu dormir car là, ça ne rigole plus. On est dans du F5 bien tassé avec des rafales à 20 nœuds. La houle forcie, elle atteint les cinq mètres mais de déferle pas encore. En langage de mer, ça s’appelle une mer forte à très forte, et c’est la première fois de ma vie que j’y suis confronté. Je suis surtoilé, et la Boiteuse va trop vite, beaucoup trop vite. Elle ne descend plus en dessous de 7,5 nœuds et il faut que je réduise la voilure, et franchement ça me fait chier. En fait je le sais depuis ce matin que tôt ou tard il va falloir que je prenne un ris ou deux, mais la perspective d’aller faire le guignol sur le pont ne m’enchante guère. J’ai reculé ce moment autant que j’ai pu, par peur en fait, mais là maintenant je n’ai plus trop le choix. Si jamais ça forcit encore, et de nuit en plus, on est bon pour aller au tapis la Boiteuse et moi.
J’enfile mon harnais, je respire un grand coup et… GO !
Cette fois-ci je prends bien garde à ne pas refaire la connerie que la première fois au large du Cap Lardet. J’étarque la drisse AVANT la bosse !
Cinq minutes plus tard je réintègre le cockpit, après avoir pris deux ris dans la GV, le maximum que je puisse faire. Je suis content et un peu étonné que cela ait été aussi facile… Je me faisais une montagne de pas grand-chose finalement.
Je me demande pourquoi j’ai attendu si longtemps avant de les prendre ces ris… Parce que t’avais la trouille, idiot !

Du coup, la Boiteuse se comporte beaucoup mieux à la vague et tient mieux son cap tout en continuant tout de même à filer ses 5 nœuds. Parfait.

Chaud devant !
16H30, comme un fait exprès la houle c’est calmée mais pas le vent. 6,5 nœuds avec deux ris dans la Grand-voile et le Génois enroulé au 2/3. Pas mal. Celui-là, il faut que je le surveille… J’ai conscience que ce n’est pas la voile idéale pour ce genre de réjouissance et je regrette de ne pas avoir mis le foc à la place. Plus petit, plus épais, il aurait mieux encaissé les rafales à 25 nœuds qui balaient l’océan depuis quelques heures.

18H00, c’est bizarre mais j’ai cessé de m’inquiéter pour ma sécurité depuis que j’ai pris ces deux ris. C’est vraiment le jour et la nuit en matière de comportement du bateau, même si il continue à rouler pas mal.
Maintenant ce qui m’inquiète (car il faut toujours que je m’inquiète pour quelque chose), c’est pour mon manque de sommeil. Après la nuit que j’ai passé, je n’ai réussi à dormir qu’une petite demie heure cet après midi, et je sens (je sais) que ce n’est pas assez. Cette nuit encore il va falloir que je veille…

21H00, fin de la séquence sportive. Le vent vire au Nord-est et baisse très légèrement. Je modifie mon cap de 10° pour pouvoir être au grand largue et non-plus au travers et ainsi avoir une allure un poil plus confortable pour passer la nuit. J’ai un début de mal de mer…

23H00, j’allume le moteur pour recharger les batteries. Maintenant tout fonctionne parfaitement et j’ai en quelque sorte pris le rythme. Deux heures de moteur le soir pour faire le plein et compenser la consommation des feux de position, et deux heures le matin pour faire le plein. Avec ça, mon copain Monsieur pilote fonctionne parfaitement.
Note pour plus tard, penser à changer les feux de position par des leds. Ça suce moins.

Le Jeudi 07 juillet 2011

07H00, la nuit c’est plutôt bien passé. J’ai un peu plus dormit que la précédente avec notamment une belle et « longue » période de sommeil entre quatre et six heures. Au matin, je me sens frais et dispo.
Tant mieux car aujourd’hui j’attaque la partie un peu chiante. Il s’agit de la bosse de quelques cent milles entre Casablanca et Safi. Là, les vents ont la fâcheuse tendance à s’accélérer… et en attendant ils virent franchement au Nord-est.

Ça part en couille...
10H00, deux avaries en même temps. Le coup classique. Le support du pilote, petite pièce de bois qui maintient la bête soudée au cockpit, est en train de partir en capilotade et l’éolienne est sur le point de se prendre les pales dans une grosse vis que les vibrations ont dévissée.
Le pilote d’abord, c’est le plus important. Avec un boute j’arrange une réparation de fortune en attendant de trouver mieux. Ca tient, et ça tient bien. Ensuite je grimpe sur le balcon arrière, tourne vis entre les dents, et j’essaye de revisser cette foutue vis. Ça bouge la haut !
Et pour ceux qui se posent la question : Non, je ne m’étais pas attaché. Je sais, c’est pas bien..

11H45, 48 heures de nave… avec 133, 32 mille de parcourus depuis les dernières 24 heures. C’est mieux. Si on continue à ce train-là on arrivera dans… 66 heures ! C’est-à-dire dimanche matin. Mais bon, en mer il ne faut présumer de rien.

12H00, j’ai toujours eu du mal à apprécier les distances, aussi bien horizontales que verticales. Cependant, si j’osais faire une estimation je dirais que les plus grosses vagues de la houle principale font 5 à 6 mètres de haut… La moitié du mât en fait.
Et ce qui est marrant c’est que les plus grosses je ne les voies jamais arriver. Elles me prennent toujours par surprise ! Je suis là, je fais un truc ou je regarde ailleurs et soudain je lève les yeux et je me retrouve face à un mur d’eau qui arrive à toute vitesse par le travers arrière ! Je sens alors très distinctement ma bouche s’ouvrir en grand en un Oh d’étonnement muet. Puis, l’espace d’une seconde, je me dis qu’on arrivera jamais à la passer celle-là… Mais non, cette montagne liquide se glisse sous la coque et soulève la Boiteuse comme dans un ascenseur et la redépose de l’autre côté. A chaque fois, quand je suis au sommet, je peux alors voir tout l’océan…

Les moyens du bord
13H00, je me suis fait peur pendant cinq minutes. Figurez-vous qu’en allant à la table à carte vérifier quelque chose, je remarque alors un grincement qui ne m’était pas familier.
Sur un bateau, et a fortiori lorsqu’on est sur une mer houleuse et par vent frais, l’atmosphère résonne de milles et un bruits. Le silence ça n’existe pas sur un bateau.
Il y a toujours quelque chose qui cogne, qui couine, qui chuinte, qui grince, qui tapote, qui frappe, qui bat, etc. Et lorsqu’un nouvel instrument vient se joindre à ce concert dont vous êtes un peu comme le chef d’orchestre, vous le remarquez tout de suite.
Bref, j’entends donc un grincement et j’identifie assez vite sa provenance : Ça vient du mât !
Tout de suite j’envisage le pire ; les prémices d’un démâtage. C’est vrai quoi, mon gréement n’est plus tout jeune, et il est plutôt malmené ces derniers temps… Mais bon, tu ne vas tout de même pas me faire ça, hein ?

J’ai tellement la trouille que ni une ni deux j’enfile mon harnais et je saute sur le pont pour me précipiter au pied du mât. Je colle mon oreille contre lui (dit trente-trois !) et j’écoute attentivement… Oui, le grincement ne vient pas du mât mais de l’intérieur du mât ! Ouf ! Je préfère… En fait, ce grincement c’était la drisse en acier de la voile d’avant qui couinait car sans doute trop étarquée pour les tensions qu’elle subissait. Un coup de manivelle dans le bon sens pour la soulager d’un poil, et hop plus de grincement !

14H00, la grande différence que je remarque entre mes petites navigations côtières habituelles et celle-ci : C’est que je n’arrive pas à me détendre.
Les conditions (vent, houle, route, les autres bateaux…) sont telles que je dois être à 110% concentré en permanence sur chacun de ces paramètres. Pas le temps de rêvasser, de prendre des photos. Ecrire est un véritable calvaire, car je m’arrête tous les deux mots pour jeter un œil autour de moi… Et lorsque j’essaye de me reposer, je me relève presque aussitôt pour vérifier un truc ou un autre. C’est vraiment ça qui est dur.


16H00, l’océan est d’un bleu profond, presque sombre, avec de grosses franges blanches sur le sommet des vagues. On est dans du F6, et ça commence à devenir sérieux. Les vagues déferlent tout autour de nous avec un gros souci tout de même, c’est quelles sont grosses comme de petites maisons.
Je réduis encore plus le Génois, mine de rien je ne suis pas rassuré. Il me tarde de quitter cette zone pourrie, ce qui devrait être le cas d’ici demain matin logiquement. Serre les fesses Gwen ! Dis-toi que c’était prévu comme ça, et qu’après ça ira mieux !
(Je sais bien, t’as raison. Mais tout de même…).

18H50, Wahou… Une série de grosses vagues, aussi hautes que le mât, viennent de me passer sous la quille. Ça fait drôle… Et en même temps je n’ai pas eu vraiment peur. Non, ce que j’ai alors ressenti, ce qui était le plus fort à cet instant dans mon esprit c’était : Wahou…

Des diamants bleus...
19H45, il y a des diamants bleus sur l’eau. Lorsque je regarde le sommet des vagues, juste au moment où elles se brisent pour déferler, on peut apercevoir par transparence la lumière du jour. La couleur est d’un bleu outre-mer… De véritables diamants bleus.

20H15, alors que j’étais penché sur mon petit cahier à spirale pour écrire quelques mots, j’ai reçu l’équivalent d’une baignoire sur la tronche. Une vague à déferlée juste sur l’arrière de la Boiteuse et à noyé le cockpit ! Quand je vous disais qu’il fallait être aux aguets tout le temps !
Je rentre me changer et enfiler ma veste de quart, et lorsque je ressorts, incroyable, la grosse houle a disparue. Vrai ! Cette foutue houles dont je venais de supporter les inconvénients toute la journée avait complètement cessée !
Il restait bien une houle raisonnable, normale pour du F6, mais plus d’immeubles à deux étages prêts à s’écrouler sur vos têtes… En fait, la douche c’était pour me dire : « Tu vois mon bonhomme, tu savais très bien que tu aurais dû passe bien plus au large. Hein tu le savais ?! Et bien, la saucée c’est juste pour te rappeler que tu as eu de la chance ! »

21H45, la nuit va tomber et j’écris les dernières lignes du jour. Il fait froid. Je n’ai pas dormi de la journée et le vent ne faiblit pas… Le Génois n’est plus qu’un mouchoir de poche et la Boiteuse continue à filer à plus de six nœuds de moyenne avec une pointe exceptionnelle de 13,3 nœuds au surf. Je n’arrive même pas à m’en réjouir…

Le vendredi 08 juillet 2011

Ma gueule après deux jours et trois nuits
07H50, j’ai enfin dormi un peu… et je me rappelle très bien avoir fait un rêve bizarre où j’étais avec l’ami Philippe et que nous visitions un village dans le Languedoc où il y avait un festival de marionnettes. De celles en bois avec des fils… C’est drôle les rêves parfois.

10H00, Je le savais… Ça fait deux jours que je me dis que si j’avais fais une erreur (parmi d’autres) dès le départ, c’était d’avoir laissé le Génois comme voile d’avant. Deux jours que je le surveille comme le lait sur le feu… Et malgré le fait qu’il ne soit déroulé que sur à peine un mètre cinquante, je vient de voir qu’il s’est déchiré. Juste au dessus de la précédente réparation. C’est la cata…
Je l’enroule complètement et j’essaye de réfléchir calmement.


Il est hors de question que je change une voile sur enrouleur, seul et par ce temps. Avec 20 nœuds de vents et la houle, c’est un truc à perdre l’une de mes voiles définitivement, voire les deux. Si je ne tombe pas à la baille avant.
Continuer sur la GV seule avec deux ris ? Pourquoi pas, on peut toujours essayer… On va voir ce que ça donne pendant les deux heures qui viennent et puis on avisera.
Sinon, il reste l’option de se replier vers le port le plus proche. Un coup de compas et je repère Essaouira à 60 milles dans mon Sud-est.

10H25, ma décision est prise : On se replie. Je ne me vois absolument pas passer les deux jours et deux nuits à venir en ne comptant que sur ma Grand-voile. Si jamais celle-ci vient à ma lâcher elle aussi, je me retrouve vraiment dans la merde. De plus Essaouira c’est le dernier port relativement proche. Après il n’y a plus rien jusqu’aux Canaries. Donc, cap au 125°.
Je descends vérifier quelques points importants. L’heure de la marée haute est à 21H21 (GMT + 2). Comme de bien entendu je n’ai pas de carte côtière pour cette zone, seulement ma carte routière et ma vieille version de Maxsea qui me dit qu’à Essaouira il n’y a rien qu’une zone de mouillage abritée par une île, l’île de Mogador. Pourtant, je suis quasiment sûr qu’il y a un port… J’ai lu quelque part qu’un couple y avait fait escale, mais le souvenir est flou.
Soit c’est Maxsea qui a raison, soit c’est moi… Tant pis, ce putain de logiciel à la con m’a déjà menti effrontément, je décide donc de faire confiance à mes souvenirs, aussi flous soit-ils.

13H00, je me traine avec le vent et la houle de travers à moins de quatre nœuds… Je fais et refais les calculs dans ma tête sur l’heure de mon arrivée. Minuit ? Une heure du matin ? Plus tard encore ?
C’est à ce moment, et à ce moment seulement, que je réalise que j’ai un moteur.

Je vous explique : Depuis que je navigue avec la Boiteuse j’ai usé et abusé du moteur. Plusieurs fois je me suis dit qu’il fallait que j’arrête un peu de compter sur lui pour un oui ou pour un non, et que pour cette traversée il ne me servirait qu’à recharger mes batteries et en aucun cas à me propulser. Dans ma tête, j’étais en mode voile, point barre.
Je ne sais pas pourquoi, mais il m’aura fallu trois heures de marche en crabe pour réaliser que j’avais un bourrin de 42 CV sous les fesses et du gasoil à ne plus savoir quoi en faire ! 20 l dans le réservoir plus les 40 l dans les jerricans. Largement de quoi faire.
J’allume le moteur et tout de suite la vitesse augmente considérablement. 6,2 nœuds, je suis là-bas avant la nuit.
Je suis si con parfois que je me mettrais des baffes. N’empêche, je suis peut-être con, mais j’ai mon moral qui remonte.

14H30, le vent souffle F5, rafales à 6. Je file droit sur le Maroc. Finalement, plus j’y pense plus je suis content de ma décision. Je me surprends à revoir dans ma tête les quelques mots d’arabe qui me restent de mon enfance. Je rêve d’un bon couscous et d’une pastilla. Je n’ai jamais mangé de pastilla. Ça doit être vachement bon…
C’était quoi déjà les raisons qui m’avaient fait éviter le Maroc ? Ah oui, le manque de port et la côte dangereuse… Bon, ben on y est maintenant, alors autant en prendre son parti et voir le bon côté des choses. L’approche risque d’être Rock&Roll, mais on va dire que c’est faisable… Et puis, même dans les coups durs j’ai toujours pu compter sur ma bonne étoile. Celle-ci va bien me filer un petit coup de pouce une fois encore… Hein ?

16H00, arrivée prévue autour de 21H00, juste 50 mn avant le coucher du soleil. Ça va le faire.

19H00, logiquement je suis à douze milles des côtes mais je ne vois toujours rien. Maintenant il s’agit de prouver que tu es aussi bon en navigation que tu le dis mon Gwen…
On est dans du F6 établit avec des rafales à 30 nœuds. Je dérive beaucoup trop et je suis obligé de remonter encore plus face au vent. La houle augmente et déferle. Les embruns balaient le pont et le cockpit. J’ai revêtu mon gilet de sauvetage.

20H00, c’est l’enfer et je suis en train de tutoyer le diable. A mon anémomètre de poche je constate que le vent est à 30 nœuds établit, avec des rafales à 38 nœuds. Selon les tables de l’échelle de Beaufort, il fait du force 7 avec des pointes à 8. Je n’ai jamais vu ça de ma vie… Je range le petit appareil et je m’oblige à ne plus le regarder. J’ai déjà assez la trouille comme ça sans qu’il ne soit besoin d’en rajouter.
La mer n’est qu’écume. Elle change de couleur et devient d’un blanc-bleu sale. Le fond remonte.
Jusqu’alors les seuls oiseaux que j’avais pu observer en mer c’étaient des puffins (puffinus gravis). On dit que ces oiseaux ne reviennent jamais à terre. Maintenant je vois des goélands. Il y en a un qui vole juste devant la proue, en biais. Il va dans la même direction que moi, mais il me regarde. C’est comme si il me disait, vas-y mon bonhomme, continu, c’est par là… Heu… T’es sûr ? Parce que moi…

20H10, ca y-est je vois enfin la côte ! Le goéland avait raison ! Une ville que je sais être Essaouira est là, droit devant. Mais où est cette foutue île de Mogador ?
Ce phare là-bas c’est quoi ? Le Ras Sim ? Oui c’est ça…

Après les choses se sont enchainées rapidement. Je me suis attaché à la ligne de vie pour aller préparer mes défenses. Des paquets de mer plein la gueule. Je suis trempé. Les aussières sont prêtes de partout. Je suis paré.
Je vois l’île. Je sais que je dois faire gaffe aux cailloux à droite et à gauche et passer juste entre la côte et la pointe de l’île.

J’ai débranché le pilote et je barre. Un grand dauphin passe juste sur bâbord. Enorme. Bienvenu Gwendal ! Bravo, tu y es arrivé, continu c’est par là… Ça y-est, je ne suis plus en train de lire un de ces récits fantastiques, je suis en train de le vivre. Un goéland et un dauphin m’ont parlé, à moi, et ils m’ont dit que j’allais y arriver. Je les crois.

Je déboule dans la passe à huit nœuds en surfant sur les rouleaux. La houle disparait ensuite quasiment mais pas le vent. Je ne vois rien. Pas de port. Pas de marina. Pas de bouées verte ou rouge. Pas de mâts… Là, une jetée !
Je la double et je distingue des gros bateaux de pêche planqués derrière. Face au vent j’abats le grand voile.
Je vois plein de petites bouteilles en plastique qui flottent de partout. Des casiers. Faire gaffe surtout, on y est presque. C’est là que je sens l’odeur qui vient de la terre.

Après des jours en mer, où l’on ne sent quasiment rien, je sens des arômes de cuisine… Je sens les épices. Le cuir aussi. Le vent déchainé passe sur la médina et rabat dans la baie des odeurs incroyables.

On se serre un peu !
J’avance doucement. Des vieux bateaux de pêche en bois aux quilles éraflées sont rangés bords à bords sur quatre ou cinq rangs. J’aperçois un petit voilier à couple avec un remorqueur. A son bord un type me fait signe. Par ici !

Je me pose comme une fleur contre son bord. Les aussières sont lancées et vite amarrées. La Boiteuse est sauve. Je suis sauf.

Je vous fais l’impasse sur les formalités administratives. La douane, la gendarmerie… On tamponne mon passeport, on me demande si j’ai des armes, de l’alcool… Non rien de tout ça. On me dit que je suis courageux avec le temps qu’il fait…
S’ils savaient…

La boiteuse et moi, nous avons parcouru depuis la Línea exactement 431,42 milles en 82 heures. Les conditions météo ont oscillées entre F4 et F8, avec un record de vent à 38,6 nœuds. Vitesse moyenne, 5,26 nœuds. Vitesse maximum : 13,3 nœuds.

Bienvenu à Essaouira !
Bilan matériel : Un Génois déchiré ; Une manille de frein de baume cassée ; Un drapeau déchiré ; Un support de pilote cassé.
Bilan physique : Ca va… J’ai attrapé un début de rhume la première nuit, et j’ai des douleurs aux articulations des poignets et des coudes à force d’avoir dû me tenir tout le temps.
Franchement, je suis étonné d’être en si bonne forme. Si j’ai dormi six heures en trois jours, c’est le bout du monde. A cause de l’inconfort et des nausées (légères mais persistantes), je ne me suis pas trop bien nourrit. Mais malgré tout ça, ça va.

Le soir, malgré la fatigue, j’ai envie de voir exactement où je suis tombé. Je m’habille correctement et je vais faire un tour dans les ruelles de la médina toute proche. Ces ruelles étroites et sombres qui sentent les épices et le cuir.

Je suis content d’être là.

17 commentaires:

Monique a dit…

Magnifique , mon Gwen ... je savais que tu y arriverais !
et maintenant je vais te parler en direct...
Yes!!!!

Giorgio a dit…

Oh putaing cong,le Gwen... ça c'est du récit, de l'authentique, du brutal, j'en avais les poils dressés sur les bras en te lisant...continue comme ça!!! T'as raison..il faut toujours écouter Flipper le Dauphin et Jonathan Livingston le goéland...

cazo a dit…

Les équipiers virtuels de La Boîteuse piaffaient d'impatience sur le quai de leur écran, attendant l'accostage du bateau livre pour embarquer et naviguer au gré des mots et des images dans cette nouvelle épopée...

Au fil des flots de ton récit, emporté par la houle, nous nous sommes accroché au bastingage à mesure que le récit se faisait tempêtueux, le mot écumant...

J'en ai l'écran couvert d'embruns et le clavier salé !!!

Et c'est l'esprit envahi de sensations multiples que tu nous déposes au milieu des senteurs épicées appelant vers d'autres récits...

Encore !!!!

Gwendal Denis a dit…

@Monique : Une partie de moi le savait aussi, mais ce n’est pas elle qui parlait le plus fort la plupart du temps.

@Giorgio : Et moi, lorsque je repense à ces deux messagers, j’en ai les larmes aux yeux… Le goéland surtout.

@Cazo : Qu’est-ce que tu veux que je réponde à ça ? Merci.

Bourreau fais ton office a dit…

L'océan, le ciel, le vent, la terre, l'onirisme et le fantastique, plus une bonne dose d'action ... merci et bravo !

aslan a dit…

Eh ben voilà, tu passes enfin la barre des 10 noeuds. Suffisait de te laisser surfer sur des rouleaux avec le diable au cul, pas compliqué !

Merci pour ces 3 jours et demi de mer. Ca doit computer sec dans ton crâne pour les étapes suivantes.

Profite quand même de l'escale, t'es pas pressé.

Gwendal Denis a dit…

@Bourreau : Il y a tous les ingrédients pour faire un bon livre ou un bon film !

@Aslan : C’est vrai que ça cogite pas mal. J’ai un plan en préparation, je vous dirais plus lorsqu’il aura fini de mijoter.

Philippe a dit…

bon ben tu t'amarines? fais pas ta moule qu'on dit aux Abers...çà vient mon Gwen, çà vient...elle sera belle ta boucle, une circum évolution
Bises

Monique a dit…

Moi, je fais la moule sur mon canapé...32° !!!
Ahhh! Essaouira et sa fraicheur légendaire !!!

lucifer ! a dit…

ce n'est sans doute que le début ,mais quel voyage !un voyage initiatique .Mais tu es béni des dieux et tout l'enfer est mobilisé pour te garder . !tu as su voir les étoiles , les diamants, le goéland ...
comme tu as dû bien dormir la 1ère nuit !après un super couscous !
et maintenant raconte nous ton Maroc.

Giorgio a dit…

C'est vrai ce que dit Philippe, tu t'amarines! Pendant qu'on marine, Monique fait la moule sur son canapé, moi je laisse la porte du frigo ouverte pour refroidir l'ordi...fait le plein de triple zéro, et envoies la suite...nous sommes tous en haleine...pas très fraîche...Bises

aslan a dit…

Il est encore en train de pioncer pour se remettre :D

Gwendal Denis a dit…

@Monique : Pas plus de 25° en plein Juillet ! Mais jamais moins de 18° même l’hiver ! On est dan plein climat océanique.

@Lucifer : C’est en court d’écriture… mais il y a tellement de choses à dire !

@Giorgio : Si tu savais le nombre de fois qu’on m’en a proposé !

@Aslan : Non Môssieur je ne pionce pas ! Je suis debout depuis 06H00 comme d’hab, mais à l’heure Marocaine. Soit une heure de moins par rapport à vous. Et puis faut que j’attende que le café ouvre ses portes pour me connecter…

Trinita a dit…

Bravo Jules Ver... Euh, Gwen !

Gwendal Denis a dit…

@Trinita : Rhooo... Pas le grand Jules tout de même ! Faut pas exagérer...

Trinita a dit…

J'ai d'abord pensé à lui "que" à cause du plancton qui brille, parce qu'il me semble qu'il en est question dans "20 milles lieues sous les mers". Puis le vent, la flotte, les animaux... Mais bon, j'avoue, Jules n'a pas vécu tout ce qu'il a écrit. :)
Ah, et j'avais oublié : "Essaouira, saouira, saouira, les aristocrates à la lanterne..." Pardon.

Gwendal Denis a dit…

@Trinita : Arf ! Bravo pour la chansonnette ! J'adore ! Et on les pendra à un arganier !